«Desrances» au Fespaco, Apolline Traoré met à l’épreuve les racines
27 février 2019Diass-Infos : Dans cette édition cinquantenaire du Fespaco, elle figure parmi les favorites pour l’Étalon d’or de Yennenga. La réalisatrice burkinabè Apolline Traoré ambitionne de devenir la première femme à décrocher le prestigieux trophée du Festival panafricain de cinéma avec « Desrances », une histoire de déracinement entre Haïti et la Côte d’Ivoire. Entretien.
RFI : Votre histoire démarre en Haïti, en 1994, et se poursuit en Côte d’Ivoire, en 2010. Qu’est-ce qui vous a emmené dans ces deux pays ?
Apolline Traoré : Ce qui m’emmène dans ces pays-là, c’est que ces pays ont vécu des guerres civiles très destructives. Je voulais dire que, quel que soit le pays où nous sommes, les guerres civiles, c’est pareil : ça détruit l’homme et cela a un impact extraordinaire sur le psychisme de l’être humain. C’est ce que je voulais montrer.
Desrances nous parle donc de racines et d’origines ?
Oui. « Desrances » est le nom d’un ancien esclave qui s’appelle Lamour Desrances. La petite histoire de Lamour Desrances, c’est qu’il a combattu Toussaint Louverture [le chef de la Révolution haïtienne, ndlr], l’emblème d’Haïti, parce qu’il était général dans l’armée de Napoléon.
Le rôle principal Jimmy représente donc le prototype d’un homme déraciné ?
Exactement. Quoi qu’il ait de racines, il a des origines qui sont là et qu’il faut défendre.
Au fur et à mesure d’autres questions apparaissent : l’« africanité », l’« ivoirité », l’étranger, l’immigré.
Oui, parce que c’est très important. C’est ça qui détruit et qui cause une guerre civile. Quand on grandit dans un pays et on n’a pas la nationalité d’abord. Après, les conflits font qu’on se divise par rapport à notre ethnie, par rapport à notre origine. C’est très destructif. En Côte d’Ivoire, ils ont eu ce problème-là. Les Burkinabè, les Maliens, les Guinéens… vivent dans ce beau pays depuis belle lurette. Malheureusement, un conflit est venu et chacun a été divisé. Et je trouve cela très dommage.
À un moment du film, on voit des bobines de pellicule par terre. Quel rôle joue le cinéma dans cette histoire ?
C’est la mémoire. J’ai fait un clin d’œil au cinéma, à la pellicule qui a disparu. Il y a aussi cette petite fille dont la mère a disparu. En même temps, c’est la même représentation que je donne à la disparition de la culture, à la disparition de la bobine. On parle aujourd’hui de la mémoire. Et tout cela fait partie de la mémoire que je représente avec les yeux d’un enfant qui va garder la mémoire de sa mère, à travers ce cinéma-là.
Ce n’est pas un hasard que vous ayez confié ce rôle à une petite fille et une mère. Vous êtes une femme cinéaste convaincue. Ambitionnez-vous de devenir la première femme cinéaste à remporter l’Étalon d’or de Yennenga au Fespaco ?
C’est au jury de décider. J’espère que j’ai fait un film assez bien. J’espère que j’ai fait un film assez convaincant pour l’obtenir pour mon pays, parce que je le fais d’abord pour mon pays. Après, on verra.
À la fin du film apparaît un hommage au grand cinéaste burkinabè Idrissa Ouedraogo, mort le 18 février 2018, à l’âge de 64 ans. De quelle manière vous sentez-vous redevable envers lui pour ce film ?
Je serai reconnaissante envers lui toute ma vie. Idrissa est mort en bataillant pour que ce film existe, en bataillant pour que j’aie les fonds pour ce film-là. Idrissa m’a ouvert les portes du cinéma africain que je ne connaissais pas. C’est lui qui m’a guidé comment faire du cinéma africain, parce que j’ai eu une culture cinématographique américaine. En particulier pour ce film-là, il était présent, il croyait en ce film-là et il s’est battu pour les fonds. Malheureusement, il est décédé sans le voir. Donc, rien ne peut m’empêcher de rendre hommage à Idrissa pour ce film.