Etats-Unis, rougeole: la peur des vaccins fait réapparaître une maladie disparue
26 mars 2019Diass-Infos : Après une forte régression pendant plus de quinze ans grâce à la généralisation d’un vaccin peu cher et efficace, la rougeole connaît une recrudescence dans le monde entier. Officiellement éradiquée depuis vingt ans aux Etats-Unis, elle subit une nouvelle flambée. Six foyers épidémiques ont été recensés dans le pays, et c’est l’Etat libéral de Washington qui est le plus touché. En cause, la défiance généralisée à l’égard des vaccins qui a entraîné la baisse de l’immunisation. Les familles, qui peuvent facilement obtenir des dérogations pour échapper à l’obligation de vacciner leurs enfants scolarisés, sont sensibles à la propagande des mouvements contre les vaccins, qui diffusent de nombreuses informations inexactes. Reportage.
Une maladie que l’on croyait oubliée a fait son retour en janvier dernier à la Une de la presse américaine : la rougeole. L’épicentre de l’épidémie se trouve au sud de l’Etat de Washington, autour de la petite ville de Vancouver, située à la frontière avec l’Oregon. Alan Melnick, le directeur de la santé publique du comté de Clark, est sur le pont depuis bientôt trois mois pour tenter de limiter l’expansion de la maladie. Le médecin plaisante en montrant sa cravate colorée aux motifs inspirés du virus Ebola, mais affiche une mine soucieuse. « Soixante-douze cas ont officiellement été recensés dans l’Etat, mais il y en a sans doute beaucoup d’autres et le virus n’a pas dit son dernier mot » prévient-il.
En janvier, le taux de vaccination dans le comté, où l’immense majorité des cas ont été recensés, était juste en dessous de 80%, contre une moyenne nationale à 92%. Selon les experts, vu la nature hautement infectieuse du virus, il faut atteindre les 95% pour garantir l’immunisation d’une communauté. « Le virus de la rougeole est extrêmement contagieux, il peut rester suspendu dans l’air pendant deux heures », précise le médecin, « dans certaines écoles, seulement la moitié des élèves étaient vaccinés. L’arrivée du virus dans ces établissements revient à jeter une allumette dans un bidon d’essence ». Alan Melnick fulmine contre les « antivax », les membres du mouvement contre la vaccination qui sèment rumeurs alarmantes et informations mensongères sur les réseaux sociaux. « Ils affirment que la rougeole est un rite de passage, qu’elle est le seul moyen d’obtenir une immunisation définitive et que l’avoir eue permet d’éviter certains cancers. C’est n’importe quoi ! » s’indigne le médecin.
La rougeole est en réalité une maladie dangereuse qui peut entraîner de sérieuses complications : elle tue dans deux à trois cas sur mille. Avant que la vaccination ne devienne la norme aux Etats-Unis dans les années soixante, quatre à cinq cents personnes décédaient chaque année dans le pays à cause de la rougeole. Quatre mille cas dégénéraient en encéphalite, une inflammation cérébrale qui peut entrainer des handicaps permanents, dont la surdité. L’arrivée du vaccin en 1963 a changé la donne, et en 2000, du fait d’un taux de vaccination suffisant pour garantir l’immunité du pays, les autorités avaient annoncé l’éradication de la maladie.
« Ils ne laissent pas la logique remplacer la peur »
Au centre médical de la paix, au milieu des sapins dans la périphérie de Vancouver, le docteur Tim Schoonmaker doit faire des efforts pour convaincre ses patients de se faire vacciner. Il joue sur l’humour, et les reçoit affublé d’un masque stérile et de petites gommettes rouges collées sur son front. « J’ai travaillé dans de nombreux Etats et je n’ai jamais vu cela » raconte le médecin, « dans 30 à 40% des cas, je dois me démener pour tenter de persuader les parents de faire vacciner leurs enfants. Les gens ont parfois en tête de fausses informations lues sur internet : ils y croient et c’est très dur de leur faire changer d’avis ».
Récemment, un patient lui a même assuré que le gouvernement plaçait des micro-transmetteurs dans chaque vaccin afin de pouvoir contrôler tous les déplacements des citoyens américains. Le docteur a répondu qu’il comprenait enfin pourquoi les portiques de sécurité sonnaient à chacun de ses passages à l’aéroport, a fait rire son patient, qui a fini par accepter l’injection. Mais la plupart du temps, les parents évoquent un lien entre le vaccin ROR ( rougeole oreillons rubéole ) et l’autisme, et restent ancrés dans leur refus. « Malgré toutes les études qui ont été faites pour démentir cette rumeur, les gens y croient toujours » déplore Tim Schoonmaker, « ils ne laissent pas la logique remplacer la peur ».
La rumeur concernant l’autisme a été lancée il y a vingt ans avec la parution d’un article suggérant un lien avec le vaccin ROR (rougeole oreillons rubéole) dans The Lancet, une revue scientifique réputée. L’auteur, Andrew Wakefield, un médecin britannique, avait été payé par des avocats qui portaient plainte contre le gouvernement anglais au sujet des vaccins. L’étude a depuis été jugée frauduleuse, le journal a désavoué l’article, et Andrew Wakefield n’a plus le droit d’exercer la médecine. Depuis, de nombreuses autres études scientifiques ont démenti tout lien entre le vaccin et l’autisme. Mais la rumeur a persisté, et a même été relayée aux Etats-Unis par un candidat à la présidence en 2015, Donald Trump, lors d’un débat télévisé. « Le premier vaccin contre la rougeole est administré autour de l’âge de douze ou quinze mois. C’est aussi à cet âge que sont diagnostiqués certains handicaps, et notamment les troubles autistiques » constate Alan Melnick directeur de la santé publique du comté de Clark, « à cause de cette association dans le temps les gens tirent des conclusions même si il n’y a aucun lien de cause à effet ».
Deux projets de loi pour augmenter le taux de vaccination
Dans l’Etat de Washington, il est facile d’échapper aux vaccins normalement obligatoires pour entrer à l’école. Les exemptions peuvent être obtenues pour raisons religieuses, médicales, ou personnelles. La dernière option est la plus prisée par les parents hostiles à la vaccination de leurs enfants. Il leur suffit de faire signer un formulaire par un médecin qui atteste avoir eu une discussion avec eux pour les prévenir des risques qu’ils encourent. A Olympia la capitale, les parlementaires tentent de modifier la loi afin d’augmenter le taux d’immunisation de la population. Un texte est à l’étude au sénat qui interdit l’exemption personnelle pour tous les vaccins. Un autre a déjà été adopté par la chambre, porté par le représentant républicain Paul Harris, élu du comté Clark, ne concerne que le vaccin contre la rougeole. « Mon district est confronté à l‘épidémie, il est donc urgent pour mon comté que ce texte soit voté. Et aussi pour l’Etat. On doit se faire vacciner » martèle l’élu qui précise : « Washington n’est pas un cas isolé. Sur les dix-sept Etats qui disposent encore de cette exemption personnelle, dix sont en train de voter des textes similaires ».
Sous la haute coupole du capitole à Olympia, Matt Shea, un représentant de l’extrême droite du parti républicain, partisan des théories conspirationnistes, s’adresse à un groupe scolaire venu visiter le Parlement. Cet élu a publiquement manifesté avec les « antivax » et nous avions rendez-vous avec lui, mais sa secrétaire a annulé la rencontre au dernier moment. D’autres représentants, tous républicains et plus modérés, ont voté contre le projet de loi qui restreint les possibilités d’échapper au vaccin. Tous ont été contactés, mais aucun n’a souhaité s’exprimer : le sujet est délicat.
Sur sa page internet, Jim Walsh, élu à la chambre de l’Etat, publie néanmoins une vidéo où il développe ses arguments. Il assure avoir vacciné ses cinq enfants mais estime que les parents doivent pouvoir conserver leur libre arbitre. « Nous devons faire confiance aux parents, aux familles, et leur donner toute latitude dans la manière d’élever leurs enfants » explique l’élu filmé dans son bureau, après avoir déploré « une volonté de bien faire qui, hélas, aboutira à limiter les choix des citoyens ». « C’est tellement simple de comprendre l’importance de l’immunisation de la communauté » riposte Paul Harris, « les bébés de moins d’un an, les malades sous chimiothérapie ne peuvent pas être vaccinés. Doit-on les exposer au risque de la maladie ? ».
L’élu du comté Clark rappelle que, saisie à plusieurs reprises, la justice a déjà tranché. « La cour suprême a statué : les droits de la collectivité priment sur ceux de l’individu » assène le représentant républicain. Interrogé sur l’attitude des parlementaires de son parti qui ont voté contre son texte il élude : « C’est compliqué, ils disent défendre la liberté, mais je sais que dans mon caucus, tous les élus sont vaccinés ».