L’échec du système de santé sénégalais, un bref état des lieux
18 juillet 2022L’accumulation des scandales en milieux hospitaliers au Sénégal pose questions. Quel est l’état des lieux du système de santé ? Comment expliquer l’état du système ? Comment répondre à l’urgence ? Voici un court extrait de notre dernier article intitulé « Sécurité sanitaire au Sénégal, un échec ? »
Au Sénégal, en un an, plusieurs incidents en milieux hospitaliers, ont coûté la vie à 19 nourrissons, à une femme enceinte de neuf mois et à son enfant. Sur ces 19 nourrissons, 18 sont morts asphyxiés ou calcinés lors de trois incendies de maternités, eux-mêmes causés par des courts-circuits. Dans chaque incendie, le témoignage des parents des victimes, suggère que les personnels soignants de garde étaient absents au moment des faits.
Le dernier des 19 nourrissons est également mort dû aux manquements du personnel soignant. En effet, alors que le nourrisson était encore vivant, une assistante infirmière l’a faussement déclaré mort. Il fut transféré à la morgue et privé de soins pendant plusieurs heures, ce qui a causé son décès.
Selon le témoignage de la famille d’Astou Sokhna, la femme enceinte en question, malgré les demandes d’assistance répétées de la jeune femme qui nécessitait une césarienne, celle-ci fut ignorée par le personnel soignant qui arguait qu’aucune opération n’était programmée. Elle fut délaissée pendant une vingtaine d’heures, avant de décéder. Son enfant n’a pas non plus survécu.
La multiplication des incidents entraînant la mort de femmes et d’enfants en milieux hospitaliers pousse à faire une introspection profonde du système de santé et l’élaboration de réformes ambitieuses. Mais avant cela, il convient d’identifier les dysfonctionnements du système de santé.
D’après les données du ministère de la Santé et de l’Action Sociale (MSAS), l’un des facteurs expliquant la récurrence des manquements du personnel soignant est le manque criant en ressources humaine sur tout le territoire.
En effet, en 2019, le MSAS employait un total de 21 337 personnes réparties sur 232 métiers. Pour tout le Sénégal, l’on comptait 1 570 médecins généralistes, spécialistes et chirurgiens, (7.36 % des ressources humaines), un opticien (0,0046 %), deux orthophonistes (0.0093 %), vingt-deux ambulanciers (0.1 %), 8 132 infirmiers, sage-femmes, assistant(e)s infirmiers(ères) (38.1 %), 1 116 agents de santé communautaires (5.2 %), 255 pharmaciens, pharmaciens biologiste, pharmaciens toxicologues, préparateurs et vendeurs en pharmacie (1.2 %), et onze Laborantins (0.05 %).
Pour paraphraser, en 2019, le Sénégal disposait de moins d’un médecin pour 1 000 habitants (0,096 ‰) et de cinq sage-femmes pour 10 000 habitants. L’ensemble du corps médical quant à lui, représentait environ 0.68 professionnel pour 1 000 habitants. Les enfants, les femmes et les malades chroniques sont particulièrement touchés par cette insuffisance.
Par exemple, en 2019, il y avait 116 gynécologues, 2 581 infirmiers, 2 196 sage-femmes, 342 médecins généralistes et 103 pédiatres pour une population totale de 16 296 362 d’habitants constituée à 43 % (7 007 435) d’enfants âgés de 0 à 14 ans et à 51.2 % de femmes.
Sans surprises, au vu des ressources humaines disponibles, le nombre de lits d’hôpitaux est également largement insuffisant. Estimé à 0.3 lit pour 1000 habitants en 2008, cette donnée n’a malheureusement que très peu évoluée pour atteindre 11 641 lits fonctionnels plus d’une décennie plus tard, soit 0.7 lit pour 1 000 habitants en 2019.
La répartition des infrastructures médicales sur le territoire est également déplorable. En 2019, l’on dénombrait 40 Établissements Publics de Santé (EPS) de niveaux 1, 2 et 3 (hôpitaux publics, privés et centre médicaux interarmées) dont cinq non-hospitaliers sur tout le territoire. 40 % d’entre eux (14) étaient localisés dans la seule région de la capitale, Dakar.
Dans le même temps, la région de Kédougou n’avait pas d’EPS, et les régions de Kaolack, Fatick, Kaffrine, Kolda, Sédhiou et de Tambacounda n’en bénéficiaient que d’un par région. Si la région de Dakar abrite 23 % de la population (3 732 282), les sept autres régions mentionnées abritent 34.5 % (5 104 729) de la population sénégalaise, mais ne sont couvertes que par 17 % (six) des EPS du pays.
En-dehors des EPS, il existe plusieurs types de structures de santé au Sénégal, mises en place afin de répondre à ces disparités régionales, dont les hôpitaux privés, les Postes, Centres et Cases de Santé, et les sites communautaires. Ceux-ci représentent 9 655 établissements sur tout le territoire (sans compter les EPS).
Néanmoins, les EPS et les centres de santé, bien que minoritaires et mal répartis sur le territoire, employaient la quasi-totalité du personnel très qualifié, à savoir, les chirurgiens, les médecins généralistes et spécialisés et les techniciens supérieurs.
Et les données de la région de Kédougou suggèrent qu’il s’agit d’un désert médical. En outre, les données présentées par le dernier Plan National de Développement Sanitaire et Social (PNDSS) 2019-2028, concernant les structures sanitaires spécialisées dans la prise en charge des urgences, montrent qu’en 2018 :
Seuls 76 % des EPS disposaient d’un service d’accueil des urgences (SAU).
Sur les 28 SAU existants, seuls 7 % répondaient aux normes minimalistes et aucun aux normes maximalistes ;
61 % des centres de santé ne disposaient pas d’Unité d’Accueil des Urgences (UAU) ;
Seuls 39% des Centres de santé disposaient d’UAU aux normes ;
67 % des blocs opératoires (16/24) mis en place dans les centres de santé étaient non fonctionnels (dont 59 % par faute d’équipements et de ressources humaines).
De plus, concernant la prévention anti-incendie, l’on constate qu’en 2019 le MSAS embauchait, 165 agents de sécurité, un technicien supérieur en génie électrique, un technicien en électromécanique et un ingénieur de maintenance, pour un total de 9 774 structures de santé sur tout le Sénégal. Ce constat désolant participe grandement à expliquer la récurrence des incendies causés par des courts-circuits observés ces dernières années.
Les conséquences du manque de personnel soignant sur la santé publique sont alarmantes. Par exemple, en 2021, 3.1 % des personnes âgées de 20 à 70 ans, correspondant à plusieurs centaines de milliers de personnes, étaient atteintes de diabète. Cette maladie est la septième cause de mortalité du pays. Néanmoins, la même année, il n’y avait que cinq (5) spécialistes diabétologues sur tout le territoire.
Le manque criant de ressources humaines a également fortement freiné la réduction du taux de mortalité infantile. En effet, bien que ce taux ait baissé de manière significative depuis l’indépendance (129 pour 1 000 en 1960), il reste aujourd’hui situé à 29 pour 1 000 naissances, une donnée extrêmement élevée qui signifie que pour chaque 1 000 naissance vivante, 29 nourrissons décèdent. Notons par ailleurs, que les troubles néonataux sont à ce jour les premières causes de mortalité au Sénégal.
Les réformes doivent donc mêler éducation, formation, recrutement massif de personnels soignants de chaque catégorie socioprofessionnelle, une mise aux normes de chaque structure de santé et une meilleure répartition territoriale des structures de santé et des ressources humaines, une identification des potentiels faux praticiens et une meilleure collecte des données. Et c’est sans compter les besoins en production de médicaments et en recherche et développement.
mediapart.fr