Espagne – Afrique : un pacte de codéveloppement
10 mars 2019Diass-Infos : Les relations entre l’Espagne et l’Afrique ont longtemps pâti d’une méconnaissance mutuelle. Pour des raisons de proximité géographique, le royaume ibérique s’est traditionnellement tourné vers le nord du continent, délaissant la partie subsaharienne à d’autres puissances européennes, France, Grande-Bretagne et Portugal en tête.
Cette approche a favorisé la diffusion d’une image négative de l’Afrique par les médias espagnols, comme le résume un Sénégalais installé depuis dix-huit ans dans le pays : « Jusqu’en 2000, 90 % des sujets de la presse espagnole sur l’Afrique concernaient les guerres, la faim, la pauvreté, les épidémies et les safaris. » Ce constat, qui date seulement de novembre, a été établi lors de la deuxième rencontre des journalistes africains et espagnols organisée par Casa África, pour justement réfléchir, entre professionnels, sur les manières possibles de placer le continent au cœur de leurs préoccupations.
Préoccupation liée aux migrants
Comme l’observe Mbuyi Kabunda Badi, professeur congolais de relations internationales à l’Université autonome de Madrid, « l’intérêt de l’Espagne pour l’Afrique et ses problèmes a démarré dès les années 1990, quand la péninsule ibérique devint la porte d’entréedes migrants africains en Europe ». S’ajouteront ensuite la préoccupation suscitée à travers l’Espagne par l’émergence de l’intégrisme islamique et les activités d’Al-Qaïda au Maghreb et dans le Sahel. Davantage encore au lendemain des attentats terroristes perpétrés à Madrid le 11 mars 2004 et qui avaient fait 191 morts.
Pour lutter contre ce fléau, l’Espagne est présente sur le terrain. Quatre cent huit hommes de troupe sont actuellement positionnés, dans le cadre de missions organisées sous l’égide de l’Union européenne, au Niger et au Mali. Les difficultés économiques et le manque de perspectives poussent des milliers de jeunes de ces pays dans les bras de groupes jihadistes ou alimentent l’immigration irrégulière vers l’Europe.
C’est pour freiner les flux de pateras et de cayucos (embarcations de fortune) vers l’Europe que, dès 2007, le Premier ministre espagnol de l’époque, José Luis Rodríguez Zapatero, avait proposé, dans le cadre du sommet UE-UA de Lisbonne, « un pacte euro-africain garantissant la scolarisation des enfants, générant des emplois pour les jeunes et améliorant les infrastructures en Afrique ». Bien que d’un bord politique opposé, son successeur Mariano Rajoy, en plus d’être le seul dirigeant européen à participer au sommet de l’UA en juin 2014 en Guinée équatoriale, avait manifesté lors de son mandat le même engagement de l’Espagne envers le continent. Madrid l’a donc intégré peu à peu dans sa politique extérieure.
Derrière l’argument du développement, les intérêts économiques
En 2001, le royaume a d’abord adopté son Plan d’action pour l’Afrique, complété par différentes initiatives entre 2006 et 2012, pour inaugurer une « politique de solidarité avec l’Afrique, élevée au rang de priorité », selon Mbuyi Kabunda Badi. L’Espagne a ainsi dépensé plus de 6 milliards d’euros pour le développement du continent au cours de la dernière décennie.
Derrière l’argument du développement, se cache celui des intérêts économiques. Les taux de croissance annuels de certains pays africains, comme les 8,3 % du Ghana ou les 7,5 % de l’Éthiopie, ne peuvent que faire pâlir d’envie une Espagne qui atteint péniblement les 2,5 %. Les relations n’ont donc cessé de s’étendre, comme le prouvent les exportations espagnoles en Afrique qui ont plus que doublé en dix ans, pour dépasser aujourd’hui les 17 milliards d’euros par an. Soit le taux de progression le plus élevé enregistré par l’Espagne en matière d’échanges commerciaux avec les différentes régions du monde.
Conditionnée ou planifiée, la politique africaine de Madrid semble aujourd’hui clairement définie, entre les intérêts du royaume et ses besoins propres, et les impératifs de développement des pays africains. Au continent d’en profiter, en engageant, aux côtés de l’Espagne, une véritable politique de codéveloppement.