Grèves dans le secteur de l’éducation : Qui pour sauver l’école sénégalaise ?
31 janvier 2022Depuis plus de deux mois, l’école sénégalaise est secouée par des mots d’ordre répétitifs de grèves. Face à la détermination des enseignants, le gouvernement de Macky Sall semble répondre par le mépris, creusant davantage le fossé entre lui et les acteurs de premier plan. Etouffés par les arrêts incessants de cours, et las de faire la navette entre l’école et chez eux, les apprenants donnent de la voix mais leurs cris de désespoir buttent sur un mur d’indifférence. La tension s’empare ainsi du secteur, élèves et enseignants continuent de dire leur frustration, au moment où l’Etat, comme pour les narguer, se complait dans un silence coupable et destructeur.
Victimes des mouvements d’humeur des enseignants, les élèves ne savent plus à quel saint se vouer pour la prise en charge de leurs préoccupations. Depuis le début du mois de décembre 2021, début des grèves des syndicats du moyen-secondaire, en l’occurrence le Saems et le Cusems, les potaches accusent le coup terrible de ces perturbations incessantes. L’horizon de leur devenir s’assombrit de semaine en semaine. Entre boycott des évaluations et débrayages ou grèves, les élèves se retrouvent perdus dans les arrêts de cours intempestifs. Pis, aucune autorité ne se présente à eux pour les rassurer par rapport à leurs inquiétudes légitimes dont la plus grande est la suspension des compositions de premier semestre. On les envoie plutôt, à ces laissés-pour-compte, des forces de l’ordre munis de grenades lacrymogènes qui semblent se délecter de la saveur lacrymale de ces innocents.
Enseignants et élèves victimes, l’Etat seul coupable
Autant que les élèves, les enseignants sont de grandes victimes de la mauvaise gestion du système. Certes, ce sont eux les auteurs des grèves, mais la responsabilité des perturbations est à situer au niveau du laxisme des autorités politiques. Si les grèves donnent l’air d’un mal endémique aujourd’hui, c’est parce que les vrais remèdes n’ont pas été apportés depuis des années. L’Etat s’est toujours plu de proposer des mesurettes, de recourir à des décisions bouche-trous, d’user de solutions circonstancielles ou même différer le problème à travers d’autres stratagèmes qui témoignent soit de leur manque de volonté soit de leur incompétence.
Alors qu’il est attendu de sa part un relèvement du salaire des enseignants, lequel renvoie toujours au misérabilisme, le gouvernement évoque toujours des arguments numériques pour refuser toute évolution dans ses considérations. Pour les autorités politiques, les enseignants sont victimes de leur nombre- on les estime à près de 100 000 agents- et qu’en raison de cela, il ne saurait y avoir de traitement égal entre eux et les autres travailleurs de la fonction publique. Ces arguments sont tirés des cheveux et un Etat sérieux doit chercher les moyens de sa politique au lieu de se suffire à faire la politique de ses moyens. Cette stratégie n’est guère bénéfique, ni pour les agents de l’Etat ni pour les usagers- ici les élèves- puisqu’à la longue elle démotive les acteurs et désacralise le secteur pourtant d’une sensibilité capitale.
A y voir de près, les grèves que nous déplorons ont les mêmes causes que celles des années précédentes. Les maux semblent résister aux solutions proposées depuis plus d’une dizaine d’années. Il est clair que tant que le système de rémunération n’est pas corrigé, le système éducatif ne se délestera pas de ces perturbations cycliques. Au-delà de l’aspect pécunier, il s’agit là d’un véritable combat contre l’injustice et l’inégalité dans le traitement. Cette iniquité, le président Sall l’avait justement pointée du doigt lors du Forum national de l’Administration en 2016, en dénonçant les tares du système de rémunération si désarticulé qu’il crée des privilégiés et des frustrés au sein d’un même ensemble.
Une radicalisation qui augure des perspectives sombres
Avec le 7ème plan d’action qui entre en vigueur ce lundi 1er février, les syndicats d’enseignants entrent dans une phase de radicalisation. Malgré quelques ponctions notées sur les salaires des Professeurs contractuels, le mouvement d’humeur prend une autre ampleur avec notamment quatre jours de cessation d’activités décrétés pour la semaine à venir. De partout au Sénégal nous viennent les cris d’angoisse des élèves qui ne savent plus sur quelle autorité tabler pour diligenter la situation. C’est pourquoi, soucieux de leur avenir et n’en pouvant plus d’être les agneaux du sacrifice, les lycéens et collégiens refusent désormais d’être spectateurs. De la même manière que le corps enseignant qui exprime son courroux, ces apprenants ruent dans les brancards pour ne pas avoir à payer les pots cassés de l’incompétence des autorités chargées de rétablir l’ordre dans le déroulement des enseignements apprentissages.
Au lieu de prendre la question des grèves très au sérieux, afin d’éviter qu’elle n’atteigne un point de non-retour comme en 2016 et 2018, le gouvernement fait la politique de l’Autruche. On ne les entend point se prononcer sur les grèves, un silence coupable les caractérise depuis quelques mois. Les rares rencontres, si tant est qu’il y en a eu, ont été l’occasion pour l’Etat de « gagner du temps » et de faire croire qu’il est attentif aux réclamations des enseignants là où ses actes indiquent tout à fait le contraire. Plaçant leur carrière politique au-dessus de celle des enfants, les autorités ont, pendant plus de 15 jours, préféré se concentrer sur la campagne électorale plutôt que sur leurs responsabilités dans cette situation de crise. Le système part en lambeaux mais, visiblement, ils ne s’en préoccupent que peu.
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