Le racisme anti-Irlandais a encore la peau dure en Ecosse
5 mars 2019Diass-Infos : En Ecosse, c’est dans les stades de football que le racisme anti-Irlandais est le plus visible. Mais il est aussi une réalité en politique et dans le quotidien de nombreux anonymes qui en souffrent. D’où vient ce racisme et comment faire pour en venir à bout ? Eléments de réponse.
« We’re all Jock Tamson’s Bairns ». Cette expression très commune en Ecosse signifie qu’aucune barrière ne saurait séparer les êtres humains. Et pourtant, les statistiques montrent que cet adage n’est pas respecté par tous. Selon le dernier rapport de la police écossaise, publié le 27 février dernier, il y a eu 6 736 crimes haineux sur une période de douze mois en 2017-2018, dont 67% étaient motivés par la haine raciale.
Cependant, la race, qui est, rappelons-le, une construction sociale et non une réalité biologique, n’est pas qu’une question de couleur de peau. Les Irlandais, arrivés en masse en Ecosse au XIXe siècle, ont alors été classés comme une race différente et inférieure aux Ecossais et aux Anglais. Aujourd’hui encore, les membres de la communauté catholique irlandaise souffrent de préjugés et discriminations sur le territoire écossais.
« C’est complètement fou » que la communauté catholique irlandaise soit toujours aujourd’hui insultée, discriminée, parfois physiquement attaquée, s’emporte James Dornan, député SNP (Parti national écossais) de Glasgow au Parlement écossais. Pourtant, ses membres sont en majorité blancs, chrétiens et parlent l’anglais, comme les Ecossais.
C’est un sujet particulièrement sensible : fin février, l’élu a été menacé de mort. Il a annoncé son intention de porter plainte. La journaliste Angela Haggerty en sait aussi quelque chose. Elle-même issue de cette communauté, et militante infatigable contre ce phénomène, elle est la cible d’un cyberharcèlement incessant. En 2014, un de ses harceleurs, qui avait appelé dans un podcast à « la frapper avec tout ce que vous trouvez », a été condamné à six mois de prison.
Un problème qui dépasse le football
Dans les milieux les plus touchés, il y a le football. Ces dernières semaines, des incidents dans des stades ont fait la Une des journaux : des joueurs recevant des projectiles, des chants à caractère raciste, des injures faisant référence à l’origine irlandaise des sportifs ou à leur supposée religion catholique…
Pour Neil Davidson, professeur de sociologie à l’Université de Glasgow et coauteur de l’ouvrage No Problem Here: Understanding Racism in Scotland, c’est parce que « le football est le symbole d’une identité résiduelle », dans une nation où ce sport est un élément majeur de sa culture. Le Celtic Football Club, par exemple, a été fondé au XIXe siècle par des immigrés irlandais, tandis que le club adverse, les Rangers, est traditionnellement protestant.
Cependant, malgré l’attention des médias portés sur le football, c’est un problème qui dépasse l’enceinte des stades. Maureen McBride, chercheuse à l’Université de Glasgow et coautrice de No Problem Here, a interviewé de nombreux membres de la communauté catholique irlandaise, qui témoignent d’actes subis à l’école ou au travail. « Un chauffeur de taxi était constamment inquiet des réactions quand ses passagers verraient son nom de famille irlandais, héritage de ses ancêtres. Il a d’ailleurs été insulté plusieurs fois », raconte-t-elle.
Pour autant, elle ne compare pas l’expérience de cette communauté avec les discriminations subies par les minorités visibles : « Une personne perçue comme Blanche pourra généralement se promener sans être insultée. Cependant, il y a des marqueurs de différence qui ne sont pas uniquement basés sur la couleur de peau. On a tendance à penser la race dans des termes très réducteurs. »
Sectarisme ou racisme anti-Irlandais
L’Ecosse peine à mettre des mots sur ce phénomène. Pour James Dornan, parler de sectarisme permet de s’attaquer aux abus commis par les protestants contre les catholiques irlandais, mais aussi aux offenses commises dans l’autre sens. « Le problème avec le terme « racisme anti-Irlandais » est qu’on donne l’impression que tout vient d’un seul côté. Mais comment est-ce qu’on nomme ce qui vient de l’autre côté ? C’est pour cela que je pense que le mot « sectarisme » a l’avantage d’être compris par tout le monde, mais il faudrait en changer la définition pour savoir de quoi on parle exactement. » David Scott, de l’association Nil By Mouth, qui combat le sectarisme en Ecosse avec des actions éducatives dans les écoles et les entreprises, lui-même Irlandais, approuve. « Cela va dans les deux sens. Pour moi, qu’un Irlandais insulte un Britannique ou inversement, c’est moralement équivalent. »
Mais pour Joe Bradley, maître de conférences en sport à l’Université de Stirling, mettre dos à dos les discriminations subies par la communauté catholique irlandaise et les insultes que certains de ses membres peuvent adresser à des Britanniques protestants, c’est ignorer la dimension historique du problème. C’est la raison pour laquelle il refuse d’utiliser le terme « sectarisme ». « Oui, des fans du Celtic ont insulté le camp adverse. Mais on utilise cela comme une excuse pour dire qu’il s’agit des deux facettes d’une même réalité. Et c’est impossible, parce qu’on parle ici des actions d’une majorité (protestante britannique) contre une minorité (catholique irlandaise). »
Regarder l’histoire dans les yeux
Face à ce problème de société persistant, que faire ? Pour David Scott, il faut d’abord reconnaître que ce n’est pas qu’un problème religieux : c’est une intersection de plusieurs intolérances. Il faut aussi que les Ecossais soient moins complaisants sur ces actes. « En Ecosse, le sectarisme est le dernier tabou tolérable », explique James Dornan. « J’ai grandi à une époque où le racisme, la misogynie, l’homophobie étaient acceptables. Mais tout cela a changé, bien heureusement, et le sectarisme doit appartenir au passé. »
Mais pour Joe Bradley, le combat sera très difficile, car il impliquerait que les Ecossais regardent leur histoire dans les yeux, quitte à avoir un reflet beaucoup moins flatteur que ce qu’ils attendent. Il n’est pas optimiste. « L’histoire des relations irlando-britanniques consiste en plusieurs siècles de préjugés, d’infériorisation et de légitimation de la force militaire en Irlande. Pour renverser cela, il faudrait que le pays reconnaisse ses responsabilités dans la colonisation de l’Irlande. Il y a beaucoup de parallèles à faire avec la manière dont les anciennes puissances coloniales, comme la France, traitent l’immigration des anciennes colonies. L’Ecosse est très réticente, apeurée et malhonnête quand il s’agit de reconnaître son rôle dans l’impérialisme britannique », estime-t-il.
La situation en Ecosse a tout de même énormément changé. « Malgré le harcèlement que je peux subir, il faut que je continue de parler de ce problème », estime Angela Haggerty. « Et j’ai remarqué, ces dernières années, que de plus en plus de personnalités publiques parlent désormais de « racisme anti-Irlandais », un terme que personne n’employait avant. » Preuve que la lutte contre le racisme anti-Irlandais avance, malgré tout.